mercredi 4 janvier 2012

Séville, ghettos, marges et frontières

Pensez-vous, je n'allais tout de même pas vous laisser dans le doute, sans répondre à cette question qui vous taraude depuis le début du récit de mes aventures sévillanes: mais où sont les gitans? Hé bien voici une tentative de réponse. Nous sommes ici dans un cas totalement différent de celui de Grenade où le quartier gitan se situe sur les hauteurs de la ville, pas très loin du centre, au Sacromonte. On peut y accéder à pied sans problèmes (même s'il faut dire que ça grimpe quand même sévèrement) et rejoindre les ruelles blanches et les maisons troglodytiques entourées par les anciennes murailles arabes. On peut aussi suivre les processions religieuses gitanes, à leur suite, entendre leurs voix rauques qui chantent. Proximité, tolérance, mélange, il en est de même à Grenade pour ce qui est du passé musulman (il faut dire que l'Alhambra est juste inévitable). Dire que le panorama est idyllique serait un énorme mensonge, certains étant encore persuadés, et je ne répète pas ici les propos d'un habitant lambda mais ceux d'un chercheur universitaire et artiste, somme toute un homme intelligent, persuadés donc que les marocains vendant de l'artisanat dans les rues qui descendent de l'Alhambra ne sont qu'une "seconde invasion". Passons sur la profonde et indémerdable connerie humaine. Mais il est vrai qu'à Séville, la chose est complètement différente. Peut-être parce que la ville est plus grande, mais je ne lui cherche aucune excuse.
Comme tout bon guide touristique qui se respecte, le mien me conseillait d'aller faire un tour dans le quartier populaire de Triana, pensant sans doute m'emmener chez les gitans. En plein midi, soleil au zénith, pas de flamenco, pas de chat noir, pas de visage tanné, pas de liseuses de lignes de la main. Rien. Nada. Que des rues désertes, loin de l'animation qui règne de l'autre côté du Guadalquivir. Parce que tout de même, le fleuve représente une frontière. Entre Séville la fastueuse et Séville la populaire, la touristique et la tranquille. Triana, presque une autre ville. Jolies ruelles, rue Bétis la fameuse, qui longe le Guadalquivir, Oued el Kebir, le grand fleuve. Mais pas de gitans.


Je ne vais pas vous mentir plus longtemps et je vais de suite casser le mythe, puisque les gitans sont à la périphérie, dans des entassements de bétons qui m'ont forcément rappelé nos cités, nos ghettos créés de nos mains pour y parquer les indisérables. Chez nous les africains, arabes, tout ce qui n'était pas blanc; chez eux, les gitans. Et comme chez nous, dans certaines cités, la Police n'entre pas. Drogue, règlements de compte, mafia... En tout cas c'est ce qu'on en dit. J'y retournerai pour aller vérifier de mes propres yeux la suprême dangerosité de ces fameux gitans. A mon avis, il y aurait comme de la discrimination, du racisme, que sais-je, du mépris?, que ça ne m'étonnerait pas.
Le seul problème étant qu'on ne se débarrasse pas des encombrants aussi facilement, et que parfois l'histoire des indésirables reste imprégnée dans la ville, imbriquée à celle de la cité elle-même. C'est le cas de l'ancien ghetto juif, le quartier de Santa Cruz. Là encore, le guide disait de s'y perdre, ce fut chose aisée étant donné que certaines rues sont si étroites qu'elles ne figurent même pas sur tous les plans. Et à force de tourner, de me perdre, de rebrousser chemin dans les impasses, d'user mes semelles dans ce labirynthe, tout m'est apparu. Le ghetto, les voix qui s'interpellent en ladino de balcon en balcon, tellement serrés, les balcons, que tous les secrets pouvaient y être murmurés directement d'oreille à oreille; les chants d'amour et de mélancolie; la persécution, la peur et la diaspora qui s'annonçait; la fin de la belle époque de la tolérance. Santa Cruz, ironie du nom pour ce quartier abritant des convertis de force, est toujours écrasé par l'énorme cathédrale, caché derrière l'Alcazar. Même si l'endroit est aujourd'hui très touristique, pittoresque, comme on dit, les inscriptions sur les murs, le nom des rues, sont là. Juderia. Et la voix de Yasmin Levy.



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