vendredi 17 août 2012

Le glacier du Trient


Il y a l’autoroute familiale et il y a le minéral. Il y a la joie de partager son chemin et il y a l’ivresse de la solitude, le bonheur que le rugissement du torrent couvre les voix et empêche les conversations. Le rocher qui blesse et qui râpe, mais qui dans le même temps rend le cheminement plus difficile, donc plus élitiste. Quelque chose d’égoïste qui nous fait dire que plus c’est dur, moins on trouvera d’importuns. Encore une fois, une pulsion émotive, le désir de possession, la passion insatiable qui se fait rage de se remplir de montagne, de se transformer en elle, de ne plus jamais s’extraire de son sein. Pourquoi pas, même, d’en devenir prisonnier. Parfois, à certains moments, dans certains endroits, on se met à partager la vision de l’ermite, coupé du monde pour mieux s’enraciner dans un coin de celui-ci, se transformer en arbre ou en rocher, rester à vie les yeux rivés sur un paysage dont on sait qu’on ne se lassera jamais.
Alors, cela, les marcheurs qui s’arrêtent à la buvette ne peuvent évidemment pas le ressentir. Ne dévalorisons cependant pas le chemin ! Il part du Col de la Forclaz, juste après la frontière suisse, à quelques kilomètres seulement de Chamonix. Le sentier s’enfonce de suite en sous-bois. Jusqu’à la buvette, une heure plus loin, nous marchons en sens inverse d’un cours d’eau domestiqué, dévié de l’énorme torrent que nous verrons plus haut. L’aménagement est ingénieux, astucieux : l’eau passe dans des tunnels creusés dans la terre, sur des canaux construits dans le bois. Le chemin est plat, parfois étroit, parfois renforcé de pierres. D’un coup, l’esprit, qui n’est pas perturbé par la douleur de l’effort, s’évade sans peine. Nous voilà dans une vignette de Tintin et le Temple du Soleil, cheminant derrière les jurons d’Haddock.

A la buvette, de trois choses l’une. Le demi-tour serait une hérésie. S’il est dû à des contraintes de mobilité, admettons. Le sentier qui part à droite et suit le torrent est tentant puisqu’il démarre en enjambant un pont. De quoi se rêver encore en aventurier.
Mais, têtu comme une mule, on se doit de poursuivre dans les rochers. Il reste encore une grosse heure de montée, avec en point de mire le magnifique glacier du Trient. Le chemin est indécis, très flou. Tels des fous portant une idée fixe et connue seulement d’eux-mêmes, nous nous évertuons  à chercher une voie qui semble parfois ne pas exister. Les glaces bleutées nous absorbent et nous aspirent. Plus nous nous approchons, plus le torrent devient gros et tentant, plus le froid se fait vif. Il y a au pied du glacier un espace suspendu entre la vie et la mort. Un lieu entre deux où la folie pourrait nous prendre, où nous pourrions nous laisser envahir par la glace, la laisser nous geler, puisque notre esprit est déjà emporté. Le même attrait qui fait dire à certains qu’ils sont attirés par le vide.  Mais il nous faut redescendre. Peut-être la compagnie de nos semblables nous est-elle encore nécessaire ? Peut-être ne sommes-nous pas encore prêts à être ermites, à nous exiler en nous-mêmes ?...


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