lundi 30 mai 2016

Un matin d'hiver à L'Alhambra

On la nomme la rouge, peut-être du rouge que le soleil peint sur les tours de ses fortifications. Février 2005, il fait un froid de canard à Grenade. Les portes de l'Alhambra ne sont pas encore ouvertes. Je suis sur la vaste plateforme qui domine et qui dessert les différentes parties du monument. Il est huit heures du matin. J'ai les doigts qui gèlent (c'est d'ailleurs à cette occasion que j'ai appris la traduction du mots "engelures" en espagnol...). Bref, j'ai l'Alhambra pour moi toute seule et l'expérience est complètement enthousiasmante.
A l'entrée, le palais de Charles Quint est un monument circulaire à colonnade et qui dénote avec le reste de la cité par sa froideur et son austérité. Car, le reste, ce n'est que beauté, décoration et culte du détail. Les autres bâtiments du palais rivalisent d'élégance et de raffinement dans les mosaïques, les plafonds de dentelle sculptés et les jardins. Fontaines et canaux d'irrigation sont bien la preuve que, pour les architectes musulmans, l'eau est l'élément central et précieux, puisque rare. Elle court donc en circuit fermé tout le long du site ; de l'écologie avant l'heure ! Je me souviens m'être donné pour but de photographier chaque salle sans aucune présence humaine sur le cliché, ce qui, malgré l'arrivée des visiteurs au fur et à mesure de la matinée, n'a pas été très difficile en ce mois d'hiver. Dans ce genre de monument, on en devient égoïste et on se voit bien en profiter seul pour le reste de la journée. Une sorte de jeu de rôle inavoué dans lequel on se prend pour le calife. Celui-là même qui, du haut de son mirador, pouvait entendre distinctement et sans être vu ce qui se disait de lui en bas, dans la ville. Celui qui se promenait chaque jour dans les jardins du Generalife, au-milieu des roses et des plantes aromatiques, conservées encore aujourd'hui. Celui qui profitait du hammam et recevait ses visiteurs en grande pompe dans la cour des Lions. Celui qui, à travers les jalousies, regardait le monde sans être vu. Celui qui du sommet de la colline pouvait admirer sa forteresse, son oeuvre architecturale.
Je me souviens avoir quitté l'Alhambra à regrets deux ou trois heures plus tard, alors que les touristes commençaient à affluer et que le charme était rompu. On comprend pourquoi Boabdil, le dernier roi maure de Grenade, a versé toutes les larmes de son corps en 1492 quand il a dû abandonner al hamra, Alhambra, la rouge. 




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