vendredi 10 février 2017

L'esclave de Dieu

Frison Roche, L'esclave de Dieu, 1985.
Suite et pas du tout fin des livres trouvés dans ma maison. Frison Roche, c'est surtout pour moi l'écrivain des montagnes, celui de Premier de cordée ou des Montagnards de la nuit, le chantre des cimes, le conteur des Alpes. Ce que je sais moins de lui, ce sont ses expéditions africaines, ses longues marches dans le désert saharien et ses écrits relatifs à cette expérience. En voyant ce livre à l'étage parmi tous les autres, je l'avais sélectionné comme une possible future lecture. Au terme de celle-ci, je me demande pourquoi je n'ai pas sauté dessus plus tôt et j'ai très envie d'aller lire l'intégralité de l'œuvre de Frison Roche. 
Ce livre est en fait un récit romancé des aventures de l'explorateur charentais René Caillié, fils de bagnard et très tôt obsédé par l'Afrique et la découverte de la merveilleuse cité de Tombouctou. Lecteur avide, il engrange dès son plus jeune âge de nombreux témoignages d'aventuriers et finit par ne plus vivre que pour son rêve. Maintes péripéties l'attendent cependant : d'une première expédition à laquelle il participe au départ du Sénégal, il retiendra que la lourdeur des campagnes militarisées et aux couleurs des grandes puissances, France ou Angleterre, rendent le périple plus dangereux qu'efficace. René Caillié décide alors d'aller vivre un an auprès des tribus Maures afin de perfectionner sa connaissance de l'arabe et de se convertir à l'Islam. Il s'invente un personnage et une légende, celle d'Abdallahi, "l'esclave de Dieu", qui traverse l'Afrique pour aller rejoindre ses ancêtres en Égypte. Au retour de son séjour chez les Maures, il est abandonné par son pays qui lui refuse l'aide promise et snobé par les Anglais. C'est seul, en mendiant illuminé par la foi, qu'il se joint donc successivement à plusieurs caravanes et se lance dans l'inconnu. Des cartes permettent de suivre sa route, à travers le Sénégal, la forêt tropicale, puis les terres arides du Mali. Enfin, il parvient à Tombouctou. Ensuite, le retour s'effectue par le Nord et c'est la grande traversée du Sahara jusqu'à Tanger qui le plonge dans des conditions effroyablement dures. Déjà frappé par le scorbut depuis les Tropiques, Abdallahi est épuisé, assoiffé et maltraité par les caravaniers qui le considèrent comme un esclave. L'un des plus grands explorateurs de notre histoire meurt en Charente à 38 ans, malade, isolé, perdu dans ses pensées qui le ramènent inexorablement vers l'Afrique. 
Et c'est là que je trouve Frison Roche magistral : à aucun moment il ne prend la décision de trancher sur la sincérité de la conversion à l'islam de René Caillié. Dieu est omniprésent pendant tout le récit et les prières à Allah sont autant d'hymnes qui s'élèvent des grandes solitudes ensablées du désert vers les millions d'étoiles qui guident la route des caravaniers. On comprend le message : peu importe qui on prie et dans quelles circonstances, l'immensité de l'Afrique est telle et les êtres qui la peuplent si minuscules que cette démesure incite au mystique. Faute de pouvoir se raccrocher à quoi que ce soit de matériel, de tangible, on se raccroche à Dieu. Le désert, pour beaucoup d'aventuriers, et les longues marches solitaires en général, ancrent l'humain dans le divin, c'est ainsi. Parce qu'il faut être seul avec soi-même et avoir connu les privations et la douleur physique pour comprendre que nous sommes dérisoires, que quelque chose de plus grand que nous nous entoure et nous enveloppe, nous dépasse et nous guide. Un récit passionnant (je le dis souvent, mais cette fois, c'est puissance mille !) à mettre entre toutes les mains. 

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