vendredi 8 septembre 2017

Henri Bordeaux, Joseph Peyré : de la misogynie en montagne

Que les choses soient claires et nettes, posées dès le départ : je ne suis pas une féministe. Non que j'aime me faire dominer par les hommes dans une société machiste, gagner moins qu'eux et me faire mépriser quand je porte une jupe. Cependant, je ne suis pas du tout dans la mouvance militante qui veut qu'on fasse tout comme les hommes. Pardon, mais je ne suis PAS un homme. Je tiens à rester une femme avec tout ce que ça a de particulier. Dans les sociétés andines, loin d'être aussi machistes qu'on le pense (cette fâcheuse tendance n'arrivant qu'avec la colonisation espagnole), hommes et femmes ne sont pas identiques mais complémentaires. Aucun ne prend le dessus sur l'autre, mais chacun est respecté et utile dans le couple pour ce qu'il sait faire de mieux. Une équipe, en quelque sorte. En réalité, ce qui rend les femmes féministes, c'est le machisme de nos sociétés. Dans les deux romans que je viens de lire et qui se situent tous les deux en montagne, c'est à la misogynie dans toute sa splendeur que j'ai été confrontée. De quoi énerver les demoiselles les plus pacifiques. J'explique. 
Henri Bordeaux, Le barrage, 1927.
L'histoire d'un village des Alpes à qui l'on apprend qu'il va être noyé au profit d'un barrage hydro électrique et de sa retenue d'eau. Le village pourrait ici être un personnage à part entière, s'il ne formait qu'un et, comme un seul homme, choisissait de se rebeller plutôt que de plier. Or, la grande majorité du village se soumet sans trop broncher et il est fait dans le livre un éloge au progrès qui arrive dans les chaumières et les fait sortir de l'obscurantisme païen. Reste un personnage, celui du chasseur de chamois rustre qui se comporte en ours et qui, lui, se refuse à admettre que son village puisse disparaître sous les eaux. On donne cependant des circonstances atténuantes à ce comportement : la mort de sa femme, sa fille au couvent après la mort de son fiancé. Que Dieu lui pardonne. Car la religion est omniprésente et, même lorsque les traditions et le respect voué à la montagne sont évoqués, le Créateur n'est jamais bien loin. Quid des femmes, me direz-vous ? Eh bien aucune ne sort vraiment du lot. Vierges effarouchées sans défenses face à l'appétit des ouvriers - étrangers, et ce n'est pas qu'un détail - venus construire le barrage, mères de famille aux fourneaux, sans voix, sans conscience, aveuglées par leurs sentiments et bigotes. Heureusement, Dieu est juste et bon : l'âme des égarées sera sauvée, tout est pardonné. On voit bien, mais c'est l'époque, me direz-vous ?, que les femmes n'ont pas le droit de cité dans les débats concernant la sauvegarde ou non de ce village. Au fond, n'importe quelle histoire aurait été bonne pour qu'Henri Bordeaux nous serve sa morale sur la salvation et le pardon. 
D'autres villages engloutis:

 Lac du barrage de Tignes
Lac du barrage de Roselend

Joseph Peyré, Matterhorn, 1939.
Dix ans plus tard, les choses ne sont pas améliorés. Pire, elles sont dites explicitement. Au rayon des femmes qui se mouvent dans le microcosme de Zermatt en été : la paysanne sans voix qui passe son temps à attendre son fiancé guide de haute montagne, l'américaine hystérique qui veut coûte que coûte bâtir une sorte d'hospice catholique en haut du Cervin, et la touriste fortunée et malheureuse en amour qui croit dur comme fer que de grimper au Cervin avec son mari pourra ressouder leur couple. Reconnaissons cependant que, niveau folie, les hommes ne sont pas en reste puisqu'un dément ayant construit un Matterhorn en carton dans sa résidence d'été y place avec minutie les petites croix qui symbolisent les morts tombés sur les différentes parois. Sa voix prophétique dit à quel point cette montagne rend fou et suscite des passions incontrôlées, mêlant la peur et le désir illuminé. Kate, notre fameuse touriste fortunée, choisit de prendre comme guide le robuste Jos-Mari afin de suivre avec lui l'entraînement long et nécessaire qui pourra lui permettre d'améliorer sa condition physique et ainsi gravir le Cervin. Les amateurs de montagne pourront ici faire abstraction de tout le côté niais de leur relation et de l'absence d'action pour savourer de belles pages d'écriture montagnarde. Là-dessus, on ne va pas cracher dans la soupe lorsqu'on nous propose de si belles descriptions des sommets et des ascensions. Ni lorsque les guides - également sauveteurs - y sont présentés comme des demi-héros. Remarquons simplement que la montagne leur est réservée, que c'est une affaire d'hommes et de virilité. La femme, elle, est une pauvre créature frêle, aux capacités physiques extrêmement limitées, voire inexistantes et qui est comme un intrus dans ce milieu écrasé de machisme. Certaines phrases du livres le disent d'ailleurs de manière totalement explicite. 

Alors quoi ?
Alors, d'une part, malgré mes critiques, j'ai beaucoup aimé lire ces deux livres. Le premier, parce qu'il raconte une histoire dans des paysages qui me sont chers et qu'il fait écho à tous les autres villages des Alpes qui seront noyés dans les années suivantes. Le second, parce qu'il évoque le Cervin, ce sommet mythique que j'ai eu la chance d'approcher adolescente et dont la force m'a marquée à vie, dans une écriture beaucoup plus riche et intéressante que le premier roman. 
D'autre part, cela m'amène à me poser les questions suivantes : le milieu de l'alpinisme est-il toujours misogyne ? Si on regarde la place des femmes dans les grandes ascensions himalayennes encore teintées de nationalisme des années 50 - 60, on ne peut pas vraiment dire que les choses se soient améliorées. Les exploits féminins sont-ils autant valorisés que ceux des hommes ? Le statut de héros ne se décline-t-il pas essentiellement au masculin ? 
Mon enquête sur la misogynie des cimes ne fait que commencer... 

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