dimanche 18 février 2018

Ces extravagantes sœurs Mitford

Annie Le Floc'hmoan, Ces extravagantes sœurs Mitford, 2002.
Si les cours d'histoire à l'école étaient dispensés de la sorte, on en retiendrait plus de choses et ce serait beaucoup plus passionnant. Une liste de dates, une chronologie ou une énumération de grands noms et de batailles célèbres restent abstraites tant qu'on ne les met pas en relation avec la "petite" histoire, celle des gens, de l'anecdotique, celle où les grands événements coïncident avec le récit personnel et familial. La vie des sœurs Mitford est l'illustration parfaite de ces personnages dont l'existence croise le chemin de l'Histoire et qui jouent un rôle dans le déroulement de cette dernière. N'allons cependant pas croire qu'il s'agisse d'une famille lambda. Les Mitford sont tout ce qu'il y a de plus aristocratique et conservateur, des nobles comme on n'en fait plus. Est-ce l'originalité de leur père qui aime à s'entourer d'animaux et à vivre dans des endroits improbables, qui à une époque se fait chercheur d'or au Canada ? Est-ce parce qu'aucune des filles n'est allée à l'école et a dû se créer une vie intérieure infiniment riche afin de survivre à l'ennui et au manque d'amour (les enfants nobles étaient à l'époque élevés par une nourrice et n'avaient que deux brefs contacts par jour avec leur mère) ? Les sœurs Mitford ont en tout cas développé des stratégies originales pour combler les vides : elles lisent énormément, s'inventent une langue bien à elles et chacune s'enferme dans ses rêves. Ce sont la poursuite de ces rêves et de ces ambitions, ainsi que des caractères bien trempés qui ne souffrent pas la contradiction qui les amèneront à sortir très tôt du carcan et à vivre des expériences hors normes. A dix-huit ans, lors du bal qui inaugure leur entrée dans le monde et ouvre la recherche aux prétendants fortunés, aucune des sœurs ou presque ne prend le chemin de la tradition. 

L'une se perd à Oxford avec des étudiants homosexuels, l'autre voue un culte à Hitler, star montante de la politique, une autre se prend de passion pour la lutte des républicains espagnols. Simples intérêts d'adolescentes en mal de sensations ? Pas vraiment car, entêtées dans leurs engouements peu communs, elles persistent et signent chacune dans leur voie. Nancy, l'aînée, fréquente le petit monde littéraire de Londres et finit par devenir un écrivain reconnu. Unity tombe littéralement en pâmoison devant Hitler, s'expatrie en Allemagne pour le suivre partout, en vraie groupie. Diana, qui a elle aussi fréquenté le Führer aux côtés de sa sœur, épouse un anglais sympathisant nazi de la première heure. Jessica, quant à elle, s'enfuit en Espagne afin d'aider les républicains dans leur lutte contre Franco mais ne parvient pas à participer vraiment à cette révolution. Qu'importe, elle ne renonce pas à ses idées, s'exile aux Etats-Unis avec son premier mari, adhère au Parti Communiste, prend fait et cause pour les déshérités et les noirs avec son second mari avocat, à une époque où il ne fait pas bon avoir des idées d'égalité et de fraternité au pays de l'oncle Sam. Sa trajectoire est sans aucun doute celle qui m'a le plus passionnée, puisqu'elle reste fidèle à ses idées jusqu'à sa mort et qu'elle transforme chaque cause qu'elle embrasse en victoire, produisant livres et articles, se battant contre la justice et les politiques et mobilisant des foules en faveur de chacun de ses combats. Le destin des deux dernières sœurs Mitford est plus conventionnel, étant donné que l'une devient duchesse du Devonshire et que l'autre finit sa vie en toute discrétion dans son domaine anglais, auprès de ses animaux. Et au-milieu de toutes ces femmes, il y a Tom, le fils dont le destin n'égalera jamais celui du reste de la fratrie. Il mourra pendant la seconde guerre mondiale. 
Ce qui est passionnant, dans ce récit très documenté, c'est à la fois le fait que les Mitford aient été partie prenante des événements mondiaux qui ont bouleversé la première moitié du XXème siècle, mais également leur propension, où qu'elles soient et quoi qu'elles fassent, à conserver la conscience de leur origine, un attachement indéfectible au lien familial malgré les différends idéologiques, ainsi qu'une élégance toute aristocratique dans leur comportement, leur manière de parler et d'écrire. Que l'on soit d'accord ou non avec leurs idées, on ne peut rester indifférent à leur parcours, à leur génie, à leur talent et à leur classe internationale. Franchement, si les cours d'histoire étaient dispensés de la sorte, avec en point de mire la vie de telles femmes, je reprendrais bien un peu d'école ! 

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