samedi 17 février 2018

Taxi Téhéran

J'avais beaucoup entendu parler de ce film, en particulier parce qu'il a reçu en 2015 l'Ours d'or à la Berlinale, et j'avais également lu des critiques très positives sur ce docu-fiction, ce vrai-faux documentaire où le jeu ne consiste même plus à distinguer l'acteur de l'amateur, le répété à l'avance du fortuit. Pendant 1h20, le jeu consiste à accepter le pacte que nous propose le réalisateur, tel un auteur qui nous prévient en préambule que tout n'est que fiction, mais qui nous invite à entrer dans celle-ci et à en accepter les règles. Jafar Panahi a choisi de s'installer au volant d'un taxi et de poser sur le tableau de bord de celui-ci une caméra qui, durant tout le temps que dure le film, va saisir le portrait des passagers qui vont se succéder dans le véhicule. Chaque personnage évoque tour à tour un aspect de l'Iran et / ou de la vie du cinéaste, les deux étant intrinsèquement liés. Le genre de concept casse-gueule qui peut donner soit un navet lent et sans intérêt, soit un chef-d'œuvre. Vous l'aurez compris, "Taxi Téhéran" appartient à la deuxième catégorie. Vous dire que l'on ne s'ennuie pas une seule seconde serait banal. Pendant 1h20, on est happé dans le mouvement, séduit, amusé, captivé par le message que chaque protagoniste nous délivre, comme autant de pièces d'un puzzle à reconstituer. Alors, ne pas en perdre une miette. Le fil conducteur, n'est pas tant le réalisateur / chauffeur de taxi que le pays lui-même, ou plutôt ses habitants dont le chœur parfois dissonant forme un personnage collectif, Panahi n'étant en fait que l'un d'entre eux. Les différentes voix évoquent le traditionalisme, l'esprit d'ouverture, la question de la religion, la superstition, la délinquance, la censure, la culture, la propagande d'état, la répression, l'amour du pays. Le tout étant intimement entremêlé sans qu'il soit possible d'opter complètement pour un avis tranché ou pour un autre. Jafar Panahi, grand homme, ne nous donne pas l'occasion de juger. Simplement, il laisse les questions se poser d'elles-mêmes, les faits se présenter tels qu'ils sont au travers d'anecdotes souvent cocasses, afin de nous permettre d'entrevoir un panorama réaliste et objectif de ce qu'est l'Iran aujourd'hui. Rien n'est simple et le manichéisme n'est surtout pas de mise : la réalité est multiple, complexe, schizophrène. On touche à l'absurde. Malgré tout, on entend parler de torture, de prison et on comprend rapidement pourquoi le travail de Panahi est censuré dans ce pays où la liberté d'expression n'est pas de mise. Cependant, si l'on regarde "Taxi Téhéran" sous l'angle pur de la création, une métaphore filée du travail artistique nous guide vers une réflexion universelle. Des références à certains films censurés de Panahi, en passant par les DVD interdits qui circulent sous le manteau, se pose la question du libre arbitre à l'heure de produire une œuvre. Tout comme la jeune nièce du réalisateur qui doit tourner un film dont on a sévèrement balisé les contours (port du voile pour les personnages, prénoms islamiques etc...), les créateurs des pays soi-disant "libres" ne se laissent-ils pas eux aussi guider par la bienséance, les conventions et l'auto-censure innée relative à leur éducation ou à la culture de leur pays ? Finalement, en nous prenant par la main pour nous faire pénétrer dans l'intimité de la capitale iranienne, c'est un message universel et intemporel que l'immense réalisateur nous délivre. Avec son air paisible et son sourire généreux, Panahi bouscule nos préjugés, questionne nos codes et bouleverse nos certitudes. A voir et revoir sans modération pour rire, réfléchir, voyager.
(Autant dire tout de suite que je vais essayer de voir ses autres films, car je n'ai pas du tout envie de m'arrêter là !) 
Ici, la bande annonce :



Et là la remise très émouvante de l'Ours d'or à la nièce de Panahi, qui n'a pas pu se déplacer puisque l'Iran l'interdit de sortir de son territoire :

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